Les nouvelles obligations de transparence des comptes dans les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel

23 août 2017

L’apparition de nouveaux modes d’exploitation des films a complexifié les schémas de financement et les modalités de remontée de recettes au profit des différents intervenants. Certains d’entre eux, à commencer par les auteurs, ont dénoncé l’opacité des comptes comme source de disparités, de manquements contractuels, voire même de violations de la loi. Pour apaiser les conflits divisant les parties prenantes et les associer à la définition d’un système vertueux, la mise en place de référentiels communs de calcul, reconnus par le plus grand nombre, est apparue comme une priorité. C’est ainsi que le CNC missionnait, pour le secteur cinématographique, le rapporteur René Bonnell en 2008, puis le rapporteur Michel Gomez en 2011, pour clarifier les notions clés qui opposaient auteurs et producteurs, et respectivement producteurs et distributeurs, et formuler des recommandations de bonnes pratiques et de définitions homogènes. Suite à la publication du rapport Bonnell, les représentants des auteurs et des producteurs parvenaient à signer le 16 décembre 2010, le « Protocole d’accord relatif à la transparence dans la filière cinématographique », qui était étendu début 2011 à l’ensemble du secteur.

La loi « création » du 7 juillet 2016[1] est venue inscrire dans le code du cinéma et de l’image animée le principe de transparence et l’obligation de transmission des comptes de production et d’exploitation, dans les filières cinématographique et audiovisuelle. Elle a étendu les pouvoirs d’audit et de sanction du CNC à cette matière[2]. Elle a accordé en revanche une priorité à la corégulation déjà testée en 2011 en laissant aux parties prenantes un délai d’un an pour se concerter sur les définitions des notions clés et établir les formats standard des comptes. C’est ainsi qu’ont été signés et étendus in extremis, par deux arrêtés du 6 juillet 2017 et deux arrêtés du 7 juillet 2017 du Ministère de la Culture, deux accords professionnels pour la filière cinéma – en complément de l’accord de 2010, et respectivement trois accords pour la filière audiovisuelle.

Nous listons ci-après les dispositions principales de ces accords, dont la lecture est loin d’être aisée.

Notons, à titre préliminaire, le champ d’application différent des accords existants :

  • l’accord du 16 décembre 2010 concerne tous les longs métrages cinématographiques, sans distinction de leur mode de financement ; ses définitions sont en revanche obligatoires uniquement pour le calcul de la rémunération additionnelle payable aux auteurs après amortissement du coût de l’œuvre[3], et ce, malgré son extension fondée sur l’article L. 132-25 du code de la propriété intellectuelle (relatif à la rémunération légale des auteurs de l’œuvre audiovisuelle) ;
  • les accords ultérieurs se limitent, comme les nouvelles dispositions du code du cinéma, aux contrats signés pour les films ayant reçu les aides à la production du CNC, à l’exclusion notamment des productions dites « sauvages »[4]; en revanche, la sphère des contrats concernés pour ces films est plus large.

I. CINÉMA

1.1/ Textes applicables :

  • Code du cinéma et de l’image animée, articles L. 213-24 s., L. 421-1 s.
  • Protocole d’accord relatif à la transparence dans la filière cinématographique – précité, étendu par arrêté du 7 février 2011(« accord auteurs-producteurs ») ;
  • Accord professionnel relatif à la transparence des comptes de production des œuvres cinématographiques de longue durée conclu en application de l’article L.213-25 du code du cinéma et de l’image animée – étendu par arrêté du 6 juillet 2017 (« accord production »), et
  • Accord professionnel sur la transparence des comptes d’exploitation des œuvres cinématographiques de longue durée conclu en application de l’article L.213-29 du code du cinéma et de l’image animée – étendu par arrêté du 6 juillet 2017 (« accord exploitation »).

1.2/ Dispositions principales :

  • Œuvres concernées : longs métrages cinématographiques : tous, pour l’accord auteurs-producteurs ; uniquement ceux admis au bénéfice des aides à la production du CNC, pour l’accord production et l’accord exploitation.
  • Le compte de production :

    • comprend l’ensemble des dépenses engagées pour la préparation, la réalisation et la postproduction de l’œuvre, en arrête le coût définitif et indique les moyens de son financement ;
    • doit être établi par le producteur délégué,
    • selon les formats standard établis dans l’accord production – annexes 1 (plan de financement) et 2 (coût définitif : un modèle pour les fictions et documentaires, un modèle pour l’animation),
    • et envoyé dans un délai de 8 mois suivant la délivrance du visa d’exploitation,
    • aux destinataires suivants :
      • les coproducteurs,
      • les entreprises signataires d’un contrat de financement leur conférant un intéressement aux recettes d’exploitation,
      • les coauteurs du film[5] et, le cas échéant, les éditeurs cédant au producteur les droits d’adaptation audiovisuelle d’une œuvre imprimée, bénéficiaires d’un intéressement aux recettes d’exploitation de l’œuvre, conditionné à l’amortissement du coût de production,
      • toute autre personne physique ou morale bénéficiaire d’un intéressement aux recettes d’exploitation de l’œuvre, conditionné à l’amortissement du coût de production,
      • les artistes-interprètes qui bénéficient, au titre d’une convention collective ou d’un accord étendu, d’une rémunération conditionnée à l’amortissement[6], ou leur société de gestion collective.

Observations :

Le producteur délégué est uniquement tenu d’envoyer le compte de production à ses cocontractants, à l’exclusion de tout tiers bénéficiaire – à la seule exception des artistes-interprètes susvisés. Nous nous interrogeons sur l’intérêt d’avoir cantonné l’exception aux artistes-interprètes plutôt que de l’ouvrir, de manière plus générale, à tous les bénéficiaires actuels ou futurs d’un texte à vocation collective prévoyant une rémunération conditionnée à l’amortissement – ce qui aurait pu éviter de modifier la partie législative du code si un autre texte venait à être signé ou modifié en ce sens[7].

Les auteurs reçoivent désormais le plan de financement du film, ainsi que, de manière systématique, le montant du crédit d’impôt reçu pour le film et le montant du soutien automatique généré par celui-ci et inscrit sur le(s) compte(s) du producteur ou des coproducteurs à la date d’établissement du coût définitif (soit 4 mois après la sortie en salles)[8]. Ces éléments s’ajoutent à ceux que le producteur délégué devait communiquer en vertu de l’article 4 de l’accord auteurs-producteurs, à savoir : les recettes (principalement les recettes nettes part producteur[9], les aides non-remboursables – hors soutien automatique investi dans la production du film, les recettes nettes provenant du placement de produits ou partenariats publicitaires payants…), le coût définitif « amortissable » du film, opposable aux auteurs[10], et le solde restant à amortir.

A l’inverse, il est créé un régime allégé pour les bénéficiaires d’un intéressement aux recettes d’exploitation du film déterminé en fonction de l’amortissement de certains éléments du coût de production, à qui le producteur délégué transmettra uniquement les éléments correspondants et le coût de production (annexe 2 de l’accord production).

Il n’existe pas de définition harmonisée du coût du film et du calcul de l’amortissement. Par exemple, le coût opposable aux auteurs est différent de celui opposable aux artistes-interprètes[11].

  • Les comptes d’exploitation :

    Les textes établissent une chaine vertueuse avec des obligations au niveau du distributeur[12] et du producteur délégué.

  1. Le distributeur transmet le compte d’exploitation au producteur délégué :
    • dans un délai de 6 mois suivant la sortie du film en salles, puis une fois par an pendant la durée du contrat,
    • dans la forme établie à l’annexe 1 de l’accord exploitation, détaillé et adaptée pour chaque mode d’exploitation en France, et pour chaque territoire à l’étranger[13].
    • accompagné des informations complémentaires prévues dans l’annexe 2 de l’accord exploitation, et
    • des informations additionnelles prévues au contrat, le cas échéant.
  2. Le producteur transmet les comptes d’exploitation reçus du(des) distributeur(s), ou établis par lui-même lorsqu’il distribue directement le film,
    • au moins une fois par an,
    • aux destinataires suivants :
      • coproducteurs,
      • entreprises ayant conclu avec le producteur délégué un contrat de financement leur conférant un intéressement aux recettes d’exploitation,
      • coauteurs du film[14] et, le cas échéant, éditeurs cédant au producteur les droits d’adaptation audiovisuelle d’une œuvre imprimée, et
      • toute autre personne physique ou morale avec laquelle le producteur délégué a conclu un contrat lui conférant un intéressement aux recettes de l’exploitation de l’œuvre ;
    • si une rémunération complémentaire est due à une chaine de télévision ayant acheté les droits de diffusion du film, en fonction des résultats d’exploitation du film en salle, le producteur joint aux comptes les informations concernant son versement.

Observations :

Les notions clés du compte d’exploitation ne sont pas définies de manière limitative, et le contrat avec le distributeur pourra prévoir moins de postes de dépenses, des postes supplémentaires, ou renverser certaines présomptions (par exemple la prise en charge dans la commission du distributeur des frais généraux d’exploitation, i.e. la portion de ses charges de structure correspondante au film). Une attention particulière devra être accordée aux plafonds des dépenses prévus aux contrats avec les bénéficiaires de recettes, pour éviter que le producteur ne supporte les éventuels écarts. Le contrat avec le distributeur pourra également prévoir une reddition des comptes plus détaillée, pour permettre au producteur de respecter ses engagements envers les auteurs et ses autres partenaires (à défaut, la responsabilité du producteur pouvant être engagée).

Pour les auteurs, il est précisé que la transmission par le producteur des comptes d’exploitation tient lieu de la fourniture de l’état des recettes prévue à l’article L. 132-28 du code de la propriété intellectuelle. Seulement, en l’absence d’une définition harmonisée de l’assiette de la rémunération légale, le tableau de la transparence n’est pas complet. Nous rappelons le principe de la rémunération légale posé par les articles L. 131-4 et L. 132-24 du code de la propriété intellectuelle : elle est « proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation» de l’œuvre, et – « lorsque le public paie un prix pour recevoir communication d’une œuvre audiovisuelle déterminée et individualisable » – « proportionnelle à ce prix, compte tenu des tarifs dégressifs éventuels accordés par le distributeur à l’exploitant ». Or, il est d’usage dans la filière cinématographique, lorsqu’il est impossible de baser le calcul sur le prix public (hors taxes), d’asseoir la rémunération légale sur les « recettes nettes part producteur ». Cette notion reçoit en pratique des définitions variées et a déjà été invalidée à quelques occasions par les prétoires. Une définition harmonisée au niveau du secteur, à l’instar de celle prévue à l’article 3.2 de l’accord auteurs-producteurs, aurait pu renforcer la sécurité juridique du mécanisme. Certes, il sera loisible aux parties d’étendre contractuellement la définition existante pour en faire l’assiette de la rémunération légale, mais en attendant une définition rendue obligatoire, les auteurs qui ne reçoivent pas de rémunération complémentaire après amortissement restent en dehors du cadre de l’accord auteurs-producteurs, et pour les autres il sera permis de faire coexister dans le même contrat la définition des RNPP harmonisées issue de l’accord, et une assiette de rémunération légale négociée librement. En tout cas il ne faudra pas espérer que les définitions elliptiques des encaissements bruts, des coûts d’exploitation et des frais généraux de l’accord exploitation suffisent pour harmoniser les comptes rendus aux auteurs.

Enfin, nous remarquons l’absence de précision équivalente à celle prévue pour le compte de production au profit des artistes-interprètes. Cela signifie, par exemple, que le CNC ne pourrait pas sanctionner le producteur en cas de manquement à son obligation de transmission annuelle du compte d’exploitation à ces derniers (prévue par l’article 2 de l’accord spécifique du 7 juin 1990). La même remarque s’impose concernant les redditions de comptes dues par le producteur délégué aux techniciens engagés sur les productions difficiles et bénéficiant d’un accord d’intéressement aux recettes d’exploitation du film[15]. Dans la mesure où l’intéressement n’est pas prévu dans les contrats du producteur délégué avec chaque technicien, les dispositions du code du cinéma et de l’accord exploitation ne devraient pas être applicables. En attendant une harmonisation règlementaire, ces défauts pourraient être corrigés en faveur des intéressés par l’insertion systématique de clauses d’intéressement dans leurs contrats de travail.

1.3/ Entrée en vigueur :

L’accord production est applicable aux œuvres ayant obtenu un visa d’exploitation à partir du 8 juillet 2017. L’accord exploitation est applicable aux œuvres dont la première exploitation par le distributeur débute à partir du 1er janvier 2018 ; pour les œuvres dont l’exploitation a débuté avant cette date, le compte rendu devra être complété par certaines informations prévues à l’article 2 de l’accord.

II. AUDIOVISUEL

2.1/ Textes applicables :

  • Code du cinéma et de l’image animée, articles L. 251-1 s., L. 421-1 s.
  • Accord entre auteurs et producteurs d’œuvres visuelles relatif à la transparence des relations auteurs-producteurs et à la rémunération des auteurs, du 6 juillet 2017 – étendu par arrêté du 7 juillet 2017 (« accord auteurs-producteurs ») ;
  • Premier accord sur la transparence des comptes et des remontées de recettes en matière de production audiovisuelle du 19 février 2016, modifié par l’Avenant n°1 du 6 juillet 2017 – étendu par arrêté du 7 juillet 2017 (« accord production »), et
  • Accord professionnel sur la transparence de comptes d’exploitation des œuvres audiovisuelles conclu en application de l’article L. 251-6 du code du cinéma et de l’image animée du 6 juillet 2017 – étendu par arrêté du 7 juillet 2017 (« accord exploitation »).

2.2/ Dispositions principales :

  • Œuvres concernées: œuvres audiovisuelles appartenant aux genres de la fiction, de l’animation, du documentaire de création ou de l’adaptation audiovisuelle de spectacle vivant, admises au bénéfice des aides financières à la production du CNC.
  • Le compte de production :

    • est défini de la même manière qu’en matière cinématographique;
    • doit être établi par le producteur délégué,
    • dans une forme regroupant le plan de financement (dressé conformément à l’article 5 de l’accord production) et le coût définitif de l’œuvre (articles 3.2 et 4 de l’accord),
    • et envoyé dans les 6 mois suivant la date d’achèvement de l’œuvre (soit la date d’acceptation de sa version définitive par la chaine),
    • aux destinataires suivants :
      • les coproducteurs,
      • les entreprises ayant conclu avec le producteur un contrat de financement leur conférant un intéressement aux recettes d’exploitation,
      • les éditeurs de chaines qui ont contribué au financement de la production,
      • les coauteurs[16] et, le cas échéant, les éditeurs cessionnaires des droits d’adaptation audiovisuelle d’une œuvre imprimée, qui ont conclu avec le producteur un contrat prévoyant un intéressement aux recettes d’exploitation de l’œuvre, conditionné à l’amortissement du coût de production, et
      • toute autre personne physique ou morale bénéficiaire, au titre d’un contrat conclu avec le producteur, d’un intéressement aux recettes d’exploitation de l’œuvre, conditionné à l’amortissement du coût de production.

Observations :

Le devis, le plan de financement provisoire, et le compte de production (coût définitif et financement définitif) sont transmis uniformément aux distributeurs, chaines et financeurs publics, ce qui devrait faciliter les échanges et l’audit. Pour le moment, uniquement des modèles de devis ont été arrêtés (annexes 1 et 2 de l’avenant n°1 à l’accord production malencontreusement intitulés « compte de production »). En attendant l’élaboration des autres documents-type, les intéressés pourront établir le compte de production en se rapportant aux précisions de l’accord production.

Les coûts directs ne sont pas définis dans les accords étendus et les modèles de devis susvisés laissent entrevoir des listes de postes allégées. Aucune précision ne figure par exemple concernant les frais juridiques encourus à l’occasion de la production, ce qui mène certains producteurs à penser à tort[17] que ces frais ne peuvent pas être financés. En pratique, il appartiendra à chaque producteur d’établir au compte de production la liste des coûts directs applicable à son projet, en fonction des montants réellement engagés.

La plupart des coûts indirects sont forfaitisés à un pourcentage donné rapporté au montant total des coûts directs, en fonction du type de l’œuvre : les frais généraux 10 à 15%, les frais financiers 1,5 à 2,5% (avec la possibilité de compter les frais réels pour l’animation, dans la limite de 5%), les imprévus figurant au devis 7%. La rémunération du producteur délégué est plafonnée en valeur absolue pour toutes les œuvres d’animation et pour les fictions et documentaires diffusées en prime time et respectivement commandés par les chaines historiques. Elle est librement négociée et imputée au coût total dans les autres cas.

Concernant l’amortissement, plus fréquent dans la filière audiovisuelle du fait de l’intervention importante des chaines, deux avancées principales protègent les auteurs et les producteurs :

pour les auteurs: une fois le coût de l’œuvre amorti, ils pourront commencer à percevoir leur rémunération proportionnelle légale sans attendre la récupération de l’à valoir perçu (si celle-ci intervient plus tard, comme cela arrive dans la grande majorité des cas) ; de ce fait, ils  recevront systématiquement le compte de production montrant l’état d’amortissement au moment de l’achèvement de l’œuvre. Deux définitions des « recettes nettes part producteur » coexistent et intéressent les auteurs : les « RNPP-A » définis à l’accord auteurs-producteurs, qui servent d’assiette à la rémunération légale pour les modes d’exploitation à gestion individuelle pour lesquelles une rémunération assise sur le prix public hors taxes est impossible à calculer ; les « RNPP » qui serviront au calcul de l’amortissement (si ultérieur à l’achèvement de l’œuvre), et des éventuelles rémunérations additionnelles après amortissement.

pour les producteurs: il est précisé que, dans les rapports des producteurs délégués avec les chaines – coproductrices ou non, la distribution des recettes se fait au même rang (2ème) et a lieu uniquement après amortissement du coût de l’œuvre. En revanche, une partie du crédit d’impôt (jusqu’à 75%, en fonction du poids de financement de la chaine) est prise en compte pour atteindre l’amortissement. Le producteur doit communiquer à l’éditeur le montant total du crédit d’impôt obtenu dans le mois qui suit la dernière déclaration de dépenses éligibles à l’administration fiscale.

L’accord auteurs-producteurs exclut de son champ d’application les compositeurs de la musique originale créée pour l’œuvre audiovisuelle. Si en pratique la plupart des compositeurs ont fait apport de leurs droits à la SACEM et reçoivent l’essentiel de leurs rémunérations par ce biais, cette exclusion est préjudiciable aux compositeurs qui ne sont pas membres d’une société de gestion collective, et à ceux qui, même en étant membres, bénéficient de rémunérations complémentaires payables par le producteur en fonction des recettes de l’exploitation.

  • Les comptes d’exploitation :

Leur transmission est similaire à celle applicable pour le secteur cinématographique, à quelques exceptions près :

  1. Le distributeur communique le compte d’exploitation au producteur délégué :
    • dans les 3 premiers mois de l’année qui suit celle de la première diffusion de l’œuvre par une chaine, puis au moins une fois par an pendant la durée du contrat avec le producteur délégué ;
    • dans la forme prévue à l’Annexe 1 de l’accord exploitation, détaillé pour chaque mode d’exploitation en France et pour chaque territoire à l’étranger, lorsqu’individualisable, et comprenant l’état d’amortissement des minimas garantis.
  2. Le producteur délégué transmet le compte d’exploitation reçu du distributeur, ou établi par lui-même lorsqu’il distribue directement le film,
    • au moins une fois par an,
    • aux coauteurs et, le cas échéant, aux éditeurs cessionnaires des droits d’adaptation audiovisuelle d’une œuvre imprimée, pour les fins du calcul des RNPP-A et de la rémunération légale. Cette transmission tient lieu de la fourniture de l’état des recettes prévue à l’article L. 132-28 du code de la propriété intellectuelle.
  3. Le producteur délégué transmet le « compte de RNPP »,
    • au moins une fois par an,
    • dans la forme prévue à l’Annexe 2 de l’accord exploitation (qui prend en compte les reversements et frais additionnels opposables effectués par le producteur)
    • aux destinataires suivants :
      • coproducteurs,
      • entreprises ayant conclu avec le producteur délégué un contrat de financement leur conférant un intéressement aux recettes d’exploitation,
      • toute autre personne physique ou morale avec laquelle le producteur délégué a conclu un contrat lui conférant un intéressement aux recettes de l’exploitation de l’œuvre;

Observations :

Le tableau d’amortissement (Annexe 3 de l’accord exploitation) accompagne le « compte d’exploitation » transmis aux auteurs et éditeurs littéraires pour déterminer le début du versement de la rémunération légale, ainsi que le « compte de RNPP » transmis aux intéressés bénéficiaires d’une part de recettes payable après amortissement.

Les définitions des recettes brutes et des commissions et des frais d’exploitations ont été harmonisées dans les trois catégories de comptes d’exploitation[18], mais certaines différences subsistent (par ex. l’imputation différente des frais d’exploitation – au forfait, dans le compte de RNPP-A, ou négociée de gré à gré dans les autres comptes). Le producteur devra veiller à la cohérence de ses engagements lors des négociations contractuelles.

A noter que le producteur ne pourra pas opposer à l’éditeur certains reversements qui affecteraient sa part de recettes (par ex. l’attribution au 1er rang de recettes complémentaires après amortissement aux auteurs et/ou aux artistes-interprètes, les préfinancements engagés après la confirmation de l’investissement de la chaine), si ce dernier n’a pas été informé de leur existence avant de confirmer son investissement, ou ne les a pas approuvés par la suite.

Le producteur est tenu de transmettre aux auteurs le compte d’exploitation pour l’ensemble des modes d’exploitation et des territoires, y compris ceux pour lesquels ces derniers sont rémunérés par les sociétés de gestion collective[19].

De manière générale, les auteurs de l’audiovisuel semblent désormais plus protégés que ceux du cinéma, dans la mesure où ils bénéficient non seulement d’une voie accélérée d’accès à leur rémunération légale, sans attendre systématiquement le recoupement de l’à-valoir, mais également d’une définition harmonisée, établie par concertation et rendue obligatoire à l’ensemble du secteur, de l’assiette minimale de cette rémunération légale (utilisée en complément du prix public hors taxe). Le plafonnement des commissions et des frais opposables aux auteurs, la prise en compte dans les recettes soumises à partage des à-valoir et minima garantis ayant servi au financement de l’œuvre, ne sont pas sans rappeler les avancées de la signature de l’accord auteurs-producteurs cinéma, seulement, avec un champ d’application plus important. Reste à savoir toutefois si cette assiette de rémunération, qui prévoit dans certains cas la possibilité pour le producteur de déduire des recettes brutes une commission de vente ou de prévente forfaitaire à son profit, ne pourrait être invalidée à son tour par les tribunaux sur le fondement des articles L.131-4 et L.132-25 du code de la propriété intellectuelle précités… Nous nous interrogeons accessoirement sur l’influence que pourrait avoir à terme la généralisation dans les accords professionnels de formules très extensives de recettes et frais correspondant à des cessions « tous droits », sur la possibilité des auteurs, déjà minoritaire, de négocier avec les producteurs la réservation de certains droits d’exploitation.

Aucune disposition, ni dans le code du cinéma, ni dans les accords étendus, ne prévoit des obligations de transparence au profit des ceux qui bénéficient d’un intéressement aux recettes d’exploitation (dépendant ou non de l’amortissement) en vertu non pas d’un contrat conclu avec le producteur, mais d’un accord collectif, étendu ou non (par exemple, le cas des artistes interprètes engagés pour des émissions de télévision, bénéficiaires, au titre d’un accord non étendu[20], de rémunérations complémentaires pour les exploitations secondaires de l’œuvre, allouées sur les recettes nettes producteur, parfois en pourcentages différents selon que l’apport producteur a été ou non récupéré).

2.3/ Entrée en vigueur :

L’accord auteurs-producteurs est applicable à tous les contrats de production audiovisuelle conclus à partir du 1er janvier 2018. L’avenant à l’accord de production fixant la forme du devis du film entre en vigueur le 1er janvier 2018, en revanche l’accord lui-même est en vigueur étendu depuis le 12 juillet 2017 et s’applique à tous les contrats conclus depuis cette date. Les obligations et définitions relatives aux comptes d’exploitation s’appliquent pour toute œuvre faisant l’objet d’un contrat de préachat ou de coproduction avec une chaine, ou d’un contrat de distribution, conclus après le 1er octobre 2017.

De manière générale, en attendant l’entrée en vigueur des accords étendus, les distributeurs et les producteurs devront rendre les comptes en conformité avec les nouvelles dispositions du code du cinéma (e.g. en matière de délais, de destinataires, de contenu principal des comptes…). Tout défaut pourra faire l’objet de sanctions administratives du CNC sur le fondement de l’article L. 421-1 paragraphes 9° et 15° du même code.

Conclusion :

Malgré la poursuite d’un objectif de transparence, la multiplication des textes apporte inévitablement complexité et oublis. La conservation d’une marge de négociation est essentielle et nous ne pourrions évidemment pas envisager un système entièrement normé. Mais le travail d’harmonisation doit encore être poursuivi et un risque de contentieux sur les définitions des notions-clés et les modalités de remontées de recettes demeure.

A terme, ces dispositions accèderont peut-être au statut d’usages, rayonnant à l’extérieur du champ de la production aidée.

[1] Loi no. 2016-925 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, JO du 8 juillet 2016

[2] Le manquement aux dispositions de transparence des comptes est ainsi passible d’une ou de plusieurs sanctions administratives, notamment : le retrait total ou partiel des aides automatiques ou sélectives attribuées, l’exclusion du bénéfice des aides automatiques ou sélectives pendant une période de maximum 5 ans, une sanction pécuniaire de jusqu’à 3% du chiffre d’affaires hors taxes réalisé par l’entreprise sur le dernier exercice fiscal clos (portée jusqu’à 5% en cas de réitération dans les 5 ans suivant la notification de la première sanction), et, pour les personnes physiques, l’interdiction d’exercer des fonctions de direction dans une entreprise appartenant au secteur concerné, une sanction pécuniaire de 10.000 euros (porté au double en cas de réitération).

[3] Articles 1 et 5 de l’accord. Selon les études cinéma de l’Observatoire Permanent des Contrats Audiovisuels, datés d’avril-mai 2011 et du 17 avril 2015, cette rémunération, facultative, est prévue par environ 70% des contrats d’auteurs analysés.

[4] Celles-ci restent soumises aux dispositions à caractère général de l’article L.132-28 du code de la propriété intellectuelle, imposant un envoi annuel par le producteur aux auteurs de l’état des recettes du film

[5] Le texte vise les auteurs « énumérés à l’article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle », à savoir ceux bénéficiant d’une présomption de titularité de droits, mais l’obligation devrait être logiquement entendue comme visant les coauteurs réels de l’œuvre, si différents.

[6] Il est ici fait référence à l’accord spécifique du 7 juin 1990, étendu par arrêté du ministère de la culture du 17 octobre 1990.

[7] Voir par exemple les dispositions de la convention collective de la production cinématographique qui prévoient au bénéfice des techniciens de certaines productions à faible budget un intéressement aux recettes nettes producteur.

[8] Le principe de la prise en compte du crédit d’impôt et du soutien automatique (à hauteur de 75%, moins une franchise de 50.000 euros) dans le calcul de l’amortissement avait été fixé dans l’accord auteurs-producteurs, mais son article 3.3 laissait aux intéressés le soin de négocier les modalités, ce qui rendait la communication de ces éléments aléatoire

[9] Qui servent comme assiette de calcul à la rémunération facultative après amortissement, et dont la définition englobe les préventes, à valoir et minima garantis et plafonne les commissions de distribution

[10] Dont certains postes font l’objet d’un plafonnement (e.g. la rémunération du producteur délégué à 5%, les frais généraux à 7%), d’autres d’un calcul forfaitaire (les frais financiers à 5%, sauf exceptions).

[11] A titre d’illustration, la rémunération du producteur délégué opposable aux artistes-interprètes concernés par l’accord spécifique du 7 juin 1990 est plafonnée à 5% pour la part du devis inférieure ou égale à 20.000.000 Francs (3.048.781 €) et à 3 % du devis pour la part du devis supérieure à ce montant.

[12] Le « distributeur » est tout cessionnaire ou mandataire disposant des droits d’exploitation pour la commercialisation du film, à l’exception de l’exploitant d’établissements cinématographiques et de l’éditeur de services de télévision ou de services de médias à la demande qui achète des droits d’exploitation moyennant un prix forfaitaire et définitif

[13] L’annexe 1 de l’accord d’exploitation semble préférer une transmission globale pour tous les territoires à l’étranger, et l’annexe 2 prévoit le détail par territoire des seules recettes brutes. Lorsque les comptes sont individualisables pour chaque territoire, il faudrait inclure le détail pour satisfaire les obligations légales.

[14] Idem note 5

[15] Annexe III de la Convention collective de la production cinématographique du 19 janvier 2012

[16] Idem note 5

[17] En matière cinématographique, la pratique est plus affirmée : le rapport Bonnell prévoyait expressément le poste de coûts « frais juridiques, judiciaires ou frais d’audit liés à la production du film », que les modèles de comptes de production reprennent au même rang que les frais d’assurance. Le protocole du 16 décembre 2010 prévoit une définition plus encadrée, opposable aux auteurs pour le calcul de l’amortissement : « Tous frais juridiques, judiciaires, comptables, de contentieux et d’audit et honoraires liés à la production du film (mais à l’exclusion de tous frais liés à des prestations de production et de recherche de financement), à l’exclusion de ceux résultant d’un comportement fautif avéré et exclusif du producteur et jugé tel par une décision de justice définitive ayant autorité de la chose jugée en dernier ressort ; ces frais seront intégrés au coût du film jusqu’à la date de clôture de celui-ci, les frais et honoraires postérieurs à la date de clôture étant traités conformément à l’article 3.1 »

[18] Saluons notamment le plafonnement uniforme des commissions d’exploitation, incluant les sous-commissions, aussi bien vis-à-vis des auteurs que vis-à-vis des distributeurs, qui aidera à minimiser le risque pesant sur le producteur

[19] Ce qui permettra ainsi de calculer, le cas échéant, la quote-part relevant des RNPP-A dans les territoires ou pour les modes d’exploitation où une répartition claire des deux modes de gestion fait défaut

[20] Convention collective nationale du 30 décembre 1992 – Annexe I