Cession de droits vs. work made for hire – où est l’auteur ?

Dans un arrêt du 21 août, la Cour d’appel de New York (2nd circuit) se livre à un exercice intéressant de droit comparé sur l’œuvre de commande en droit italien et la work made for hire en droit américain, pour ouvrir à un compositeur italien le droit de résilier des contrats de cession de droit d’auteur soumis à la loi italienne pour le territoire des Etats-Unis sur le fondement de la loi américaine. Avis aux auteurs – français, notamment – souhaitant récupérer des droits cédés aux Etats-Unis.

Entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, le compositeur Ennio Morricone signait avec l’éditeur italien Edizioni Musicali Bixio plusieurs contrats de commande et de cession de droits pour la bande sonore de 6 films.

En 2012, sa société notifiait à la société américaine du groupe Bixio la résiliation des contrats pour le territoire des États-Unis.

Cette résiliation était fondée sur la loi américaine (article 17 U.S.C. § 203), qui autorise l’auteur d’une œuvre à sortir d’un contrat de cession de droits 35 ans après sa signature[1].

L’éditeur contestait le droit du compositeur de résilier les contrats, soutenant que les compositions réalisées spécialement pour des films constituaient des œuvres de type work made for hire – exclues du bénéfice de l’article 17 U.S.C. § 203.

L’exclusion des works made for hire du mécanisme de résiliation s’explique par le fait que l’« auteur » de ces œuvres au sens de la loi américaine – seul en droit de demander la résiliation – n’est pas leur créateur, mais leur commanditaire, investi ab initio des droits d’auteur en vertu d’une fiction juridique.

Le tribunal du district sud de New York, saisi en premier ressort, donnait raison à l’éditeur.

La cour d’appel infirme le jugement et renvoie l’affaire pour qu’il soit fait droit à la demande de résiliation.

D’abord, la cour constate que les compositions ne pouvaient pas constituer des works made for hire au sens de la loi américaine à défaut de mention expresse de cette qualification dans les contrats concernés. Occasion de rappeler les vertus de ce formalisme « talismanique », destiné à protéger le créateur et à épargner aux tribunaux l’effort de comprendre, des années après, l’intention des parties lors de la signature du contrat[2].

Ensuite, elle vérifie, comme lui demandait Bixio, si le statut de l’œuvre de commande en droit italien pouvait être assimilé à celui des work made for hire, dans la mesure où, selon Bixio, leurs effets pratiques étaient comparables.

La cour retient une différence essentielle : si la loi américaine fait artificiellement du commanditaire l’auteur de l’œuvre, la loi italienne ne comprend aucune fiction juridique similaire, et confère les droits d’auteur ab initio au créateur[3]. Plus particulièrement, le créateur de la musique composée pour un film est ab initio l’auteur de ses compositions, et co-auteur du film.

Ainsi, en tant qu’auteur, le compositeur doit se voir reconnaître le droit de résilier les contrats.

A noter que la cour se garde de voir en la cession extensive des droits au profit de l’éditeur[4] un signe de l’intention du compositeur de se dessaisir de ses œuvres comme s’il s’agissait de works made for hire, estimant qu’une interprétation large de la loi italienne sur cet aspect, en l’absence d’un garde-fou comparable au formalisme de la loi américaine, serait dangereuse[5].

Et qu’elle relève la modalité de rémunération du compositeur (royautés) pour l’exploitation de ses œuvres comme un indice de l’absence d’un tel dessaisissement.

Il n’est pas clair pourquoi la société du compositeur n’a pas demandé la résiliation du contrat selon les dispositions de la loi italienne – que les deux parties considéraient applicable aux contrats et au litige survenu.

En tout état de cause, le droit de résiliation accordé à l’auteur par la loi américaine étant d’ordre public en droit américain[6], cet arrêt ouvre la voie aux auteurs – notamment français – qui ont signé depuis plus de 35 ans des contrats de cession (hors contrats libellés work made for hire soumis au droit américain) de droits d’exploitation de leurs œuvres sur le territoire américain de les récupérer.

[1] Cette résiliation est toutefois sans effet sur le droit du cessionnaire de continuer à exploiter l’œuvre dans les œuvres composites réalisées légalement avant la résiliation

[2] « Under the U.S. Copyright Code, unless the work was created by an employee for the employer (a situation inapplicable here), there must be a writing, signed by both parties, specifying that the work is “made for hire.” 17 U.S.C. § 101. These requirements to qualify a work as a “work made for hire” are straightforward and easy to apply. This technical writing requirement furthers the goal of ensuring that all commissioned works are not categorically deemed “works made for hire.” The writing requirement also saves courts the knotty work of sorting out the parties’ intent years after the assignment of a copyright. The Italian scheme does not require such a writing in order to qualify a work as “commissioned”- let alone a writing with a talismanic phrase to eliminate all doubt. The Italian scheme is thus missing an important feature of the U.S. system, and could result in an overbroad application of the “work made for hire” doctrine. »

[3] La loi française prévoit un mécanisme similaire (art. L111-1, 3e alinéa du code de la propriété intellectuelle)

[4] Le contrat prévoyait la cession globale des droits patrimoniaux du compositeur pour la durée totale légale maximale de protection des œuvres accordée dans chaque pays du monde “the maximum total duration permitted by the laws in force in each country in the world.”

[5] Voir note n°2

[6] 17 U.S.C. § 203(a)(5)